La estupidez

Quelle découverte !

Le théâtre de Chaillot présente jusqu’au 4 avril 2008 une pièce de Rafael Spregelburd, un auteur argentin quasiment inconnu en France bien que ne manquant pas de prolixité !

Comment narrer cette pièce qui nous fait voyager d’un hôtel à l’autre et d’une chambre à l’autre, dans un enfermement tel que nous n’y voyons goutte. Nous tournons en rond dans un univers  hyper américain. Les chambres sont toutes identiques, formatées et les groupes de protagonistes y jouent chacun leur partie. Ils ne se rencontrent jamais. Des dollars, des cassettes audio, parviennent à passer d’un groupe de personnages à l’autre à leur insu  ce qui n’est pas sans provoquer quelques effets inattendus.  

Les protagonistes sont atteints d’une frénésie immaitrisable, ils se débattent dans un monde clos qui n’a aucun avenir. Pourquoi tant d’agitation ? Leur univers tourne autour du rien, celui d’une toile de maître qui s’efface avec le temps, d’une équation mathématique qui pourrait changer l’ordre du monde, d’une martingale qui ferait gagner à la roulette… Tel un entomologiste, l’auteur montre de pauvres humains se débattant dans le monde impitoyable de Las Vegas.

La mise en scène de Marcia Di Fonzo Bo et d’Elise Vigier donne des ailes à ce spectacle, seraient-ce celles qui planent dans « los aires » de l’Argentine ?

Le dispositif scénique d’une grande simplicité est au plus près du propos de l’auteur, les humains ne font jamais qu’entrer et sortir d’un lieu pour entrer dans un autre. Ils sont tous différents et tous pareils, ils circulent dans leurs préoccupations sans jamais en sortir. La rencontre avec la nouveauté est quasiment nulle. L’auteur se référant à Hieronymus Bosch d’une part et à la technique cinématographique d’autre part, le metteur en scène en tire le meilleur parti pour faire coexister dans un même temps des scènes différentes ce qui n’est pas sans créer un comique de situation. Il orchestre avec virtuosité le déplacement des acteurs qu’il dirige avec brio. Acteurs qui sont complètement investis dans cette farandole absurde où le monde peut aller à sa perte si était divulguée l’équation enfin résolue par le génial mathématicien Finnegan. Cinq acteurs, incarnant au gré des scènes jusqu’à cinq rôles différents dans une alternance effrénée, démontrent, s’il en était besoin, combien le théâtre est avant tout exposition et risque devant le public : sans eux ce spectacle ne serait qu’un texte plein de nullité voulue par l’auteur qui tomberait à plat. Mais il est justement écrit pour la  représentation. C’est une ode au théâtre.  Ne nous y trompons pas, la banalité des personnages n’est pas sans cacher un humour grinçant et une interrogation exacerbée sur le sens de  l’existence. Finnegan n’est-il pas, après Joyce, un nouvel héritier de la ballade irlandaise ? Ne nous nous invite-t-il pas à nous réveiller ?

Françoise L. Meyer. Paris.

 

www.theatre-chaillot.fr

http://www.theatre-chaillot.fr/spectacle.php?id=55&view=fiche

 

 

 

LA ESTUPIDEZ (LA CONNERIE) A DÉPASSÉ TOUTES LES LIMITES…

Quatrième pièce de l’Heptalogie de Hieronymus Bosch, située exactement

dans son centre, elle représente, je crois, son point le plus haut. La Estupidez

ne connaît pas de mesure. Sa durée inhabituelle, sa référence au cinéma, sa

trompeuse apparence de vaudeville, son odeur de pop art, son extension

infinie quel que soit le champ théorique où l’on veuille l’inclure, font de cette

œuvre la plus démesurée de mes écrits. Dans une époque où tout

s’appauvrit, et dans un pays où tout rétrécit, La Estupidez est l’explosion

insensée mais articulée d’un moteur en pleine ébullition, et – dans son

harmonieux déséquilibre – elle est insaisissable, grossière, baroque, et

cherche à abattre tout préjugé que mes acteurs ou moi-même aurions pu

avoir concernant les limites de ce qui est jouable au théâtre. Format de roadmovie,

mais inconfortablement théâtral et statiquement circulaire : un

voyage sans kilomètres dans lequel cinq acteurs sont hyper-exploités par une

seule structure narrative.

Il va sans dire que, pour des raisons strictement théâtrales (de perfides

raisons ludiques), notre Finnegan est loin d’être le héros que notre époque

réclame. Quoique je n’en sois pas tout à fait sûr non plus. La parabole qui se

ferme avec Finnegan est aussi erratique que le robinet du pauvre Donnie

Crabtree. J’ai l’intuition que les eaux souterraines de cette comédie

indéfinissable coulent sur un lit d’énorme angoisse.

R a f a e l S p r e g e l b u r d

 

Avec plus de trente pièces, Rafael Spregelburd n’a cessé de mener une exploration

formelle féconde et virtuose. Celle-ci est particulièrement évidente dans la

série de pièces qui composent la multiforme et démesurée Heptalogie de

Hieronymus Bosch. Initialement inspirée par la représentation des Sept péchés

capitaux de Jérôme Bosch au musée du Prado, cette heptalogie s’étend sur plus

de dix ans de travail. Quatrième pièce de la série, La Estupidez a été écrite entre

2000 et 2002. Rafael Spregelburd vit et travaille principalement dans sa ville

natale de Buenos Aires. Depuis la fin des années 90, son œuvre, traduite en

plusieurs langues, commence à se faire connaître au-delà de l’Argentine. (théâtre de Chaillot)